Histoire de la Villa Maria à Léoube (suite) – La balustrade -1883

Villa Maria

Terrasse de la Villa Maria à Léoube (avant 1921) peint par Jacques Dor

Dans ses lignes extérieures, aussi bien d’ailleurs que dans son aménagement intérieur, la « Villa Maria » est restée à très peu près identique au « Poste des Douanes ». C’est assez dire qu’elle constitue une habitation des plus modestes à tous égards. Mais, ce qui en fait sans contredit l’une des villas les plus charmantes qui soient, c’est son site merveilleux qui égale les sites les plus admirés de cette Côte d’Azur pourtant si riche en décors féeriques.

La terrasse de la Villa était primitivement rectangulaire, assez étroite et munie d’un simple garde-fou mi partie de fer et de bois rustique. En 1883, elle a été élargie en demi-cercle et bordée d’une gracieuse balustrade en pierre. Les deux superbes chênes verts qui l’encadrent si joliment et la couvrent de leur ombre ont été plantés à l’époque de la construction.

Notes et références

Le vieux Léoube – Henri Vincent – 1914 (inédit)

Léoube : Construction de la Villa Maria – 1847

Sous le premier Empire, des « Postes sanitaires » chargées de surveiller la navigation côtière étaient installés sur tout le littoral de Provence ; ils étaient très rapprochés ; il y en avait à Cavalaire, au Lavandou, à Bénat, à Bréganson, à Léoube… Dans chacun d’eux, l’autorité était exercée par un « préposé de santé » qui n’était autre qu’un habitant notable du pays. C’est ainsi que M. Bernardin Brémond fut préposé au poste sanitaire de Léoube. À sa mort, en 1819, les fonctions dont il était investi furent confiées au préposé du poste de Brégançon. Les postes sanitaires de Brégançon et

Villa Maria, avec quelques membres de la famille en tenue d’époque !

de Léoube cessèrent de fonctionner le 13 octobre 1849 et le service qui leur incombait fut alors remis à l’Administration des Douanes dont une recette était installée depuis quelque temps déjà dans les dépendances du château de Léoube. Pour mettre fin aux ennuis qui résultaient de ce voisinage trop immédiat, J. E. Gérard fit construire en 1847 sur la plage de Léoube une jolie maison qui fut exclusivement destinée au logement des douaniers. En 1866 le « Poste des Douanes » de Léoube fut définitivement supprimé. La maison spécialement construite à cette fin fut, depuis lors, habitée par une branche de la famille Gérard (branche Edmond Vincent) et pris désormais le nom de « Villa Maria ».

Arrivée de la famille à Léoube – 1840

Voici un texte sur Léoube écrit par « Bonne maman », Félicité Marcotte de Quivères, épouse d’Emile Gérard (et reproduit par Henri Vincent) :

Léoube
Léoube

En 1840 la propriété de Léoube fut achetée par le père de famille Émile Gérard. Ce fut une grande joie pour tous d’arriver dans ce site abrupt et isolé qui semblait le bout du monde. Il fallait huit heures par des chemins impraticables pour y arriver. Depuis les Vieux-Salins, le trajet se faisait en charrettes. Souvent l’on versait. Les torrents de Maravenne et de Pansard, à traverser, n’étaient pas toujours guéables. Toutes ces difficultés augmentaient le charme de cet endroit si solitaire qui, avec ses bois impénétrables, ses hautes bruyères fleuries et embaumées, ses cystes, ses lauriers roses, ses myrtes, donnait l’idée d’une terre vierge et inexplorée.

Toute la famille, grands et petits, vieux et jeunes, comme de nouveaux colons, alla prendre possession du nouveau domaine. Tout y manquait, tout était à faire pour s’y installer. Mais la première pensée, le premier cri fut : Où aller à la messe ? Deux heures de chemins affreux pour se rendre soit à Bormes, soit à la Londe. Emile Gérard, le père bien-aimé, déclara aussitôt que la demeure du Bon Dieu serait le premier ouvrage entrepris. On examina les lieux. Un petit bâtiment délabré s’appuyait sur une des vielles tours du château. Là demeurait une vielle femme qui donnait à boire aux travailleurs. Elle raconta qu’avant la Révolution, ce petit réduit était une chapelle, qu’on y avait dit longtemps la messe et que l’ancienne propriétaire, Madame Brémond, lorsque tout le monde était couché, venait chaque soir s’agenouiller au milieu du cabaret pour demander pardon à Dieu des blasphèmes et des mauvaises paroles qui se proféraient dans ce lieu anciennement bénit.

On fut vite d’accord pour réédifier en cet endroit une chapelle. Les maçons et les ouvriers furent mis à l’œuvre. Mais que de difficultés et d’embarras pour les matériaux à employer ! Tout venait par mer ; et quel évènement, quelle joie, lorsque la barque arrivait. On allait en troupe au bord de la mer, assister au débarquement. C’étaient les matériaux, les portes, les petites fenêtres, puis enfin, quelle joie ! l’autel que l’on trouvait bien beau.

Chaque membre de la famille apporta son présent pour orner et meubler la chère chapelle. La grand-mère Gérard offrit le calice, souvenir d’un Père Dominicain de la famille, mort dans les missions d’Amérique. La croix fut donnée par Madame de Roux, la première qui alla jouir dans un monde meilleur des joies éternelles. Les chandeliers, les ornements, les linges sacrés furent offerts par tous les autres. Tout était bien modeste. Sur l’autel, une simple gravure représentant la fuite en Egypte. Cependant, Letuaire, artiste renommé à Toulon et l’oncle Charles Marcotte peignirent des fresques.

L’érection achevée, la bénédiction fut enfin décidée pour le 8 septembre 1841. La petite chapelle fut placée sous le vocable de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie. 

La chapelle du château de Léoube – Deux ans en Afrique, Charles Marcotte de Quivières

Le château de Léoube et l’ancienne chapelle, aujourd’hui détruite

[…] J’habitais aux environ d’Hyères un vieux château, du nom de Léoubes, élevé, dit-on, par la reine Jeanne ; délicieuse retraite, complétement isolé, où, seul étranger, un brave curé des environs qui venait dire la messe le jeudi et le dimanche dans la chapelle, prenait place à notre table patriarcale.

Cette chapelle m’a rappelé un de mes vieux péchés qu’il faut que je confesse ici.

Pendant un séjour que j’ai fait1 à Toulon en 1842, la belle-mère2 de ma sœur me pria de composer pour la chapelle de Léoubes, qu’on restaurait alors, un grand tableau pour l’autel du fond.

Deux ans en Afrique – Charles Marcotte de Quivières (Manuscrit)

Elle me désigna le sujet. Elle voulait un Saint Joseph, la Vierge et l’enfant Jésus, et une foule de têtes d’anges, à la manière de Murillo. – Rien que cela.

Ces conditions posées, je fis les miennes ; et d’abord je m’opposais aux petites têtes d’anges qui me gênaient beaucoup.

Elle insista : elle tenait aux anges.

  • Vous arrangerez cela, me dit-elle, de manière qu’on ne les voie pas ; vous les dissimulerez.

J’acceptai la commande qui devait me rapporter une messe en musique, les bénédictions d’un grand nombre de dévotes invitées à l’inauguration, et une foule d’indulgences plénières.

Je me mis à l’œuvre. Je m’étais réservé le droit de choisir mes modèles. Une nièce de ma sœur [Zélia Vincent], avec des traits un peu accentués à la manière méridionale, avait une de ces physionomies pures et calmes qui devait inspirer mon pinceau : elle consentit à poser pour la Vierge.

Ma sœur venait de me donner un neveu, un gros garçon rose et frais, qui semblait être venu au monde tout exprès pour figurer dans mon tableau. J’avais donc mon enfant Jésus.

Mais où trouver Saint Joseph ? Je tenais à faire une œuvre consciencieuse. Je voulais que ma composition eût un cachet de vérité conforme à l’idée que certaines personnes ont conçue d’une famille composée d’une vierge, mère d’un enfant qui n’est pas le fils de son père, et d’une père qui n’est pas le mari de sa femme ; le tout cependant formant une seule et même famille.

Pendant que j’étais à délibérer, en passant la main gauche dans ma barbe, je jetai négligemment les yeux sur une glace posée en face de moi et j’aperçu… saint Joseph qui avait l’air de réfléchir profondément sur les difficultés de la situation. Je pris vivement mon crayon, et je croquai, sans désemparer, mon sont Joseph qui réunit parfaitement toutes les conditions voulues pour personnage de mon tableau. J’avais un père, une vierge et un enfant de la même famille.

Quant aux têtes d’anges, après en avoir dessiné, effacé, fait et refait deux ou trois autour de mon groupe, je pris le parti de les dissimuler par un palmier qui les couvrit entièrement de ses branches.

Le fond du paysage était un site de Léoubes, de sorte que la sainte Famille avait un air tout à fait local.

Le tableau terminé, les connaisseurs de Toulon et des environs vinrent le visiter dans mon atelier. Chacun s’extasia sur la ressemblance de la sainte Famille.

Vint le tour le grand’maman. A peine eut-elle jeté les yeux sur la toile, qu’elle entra dans une dévote fureur.

  • Qu’est-ce que vous m’avez fait là ? s’écria-t-elle. – Le portrait de Z… ! Je ne veux pas de cela. – J’aime beaucoup ma petite fille, mais je consentirai jamais à me mettre à genoux devant elle. Ca ne serait pas convenable ; changez cette tête.

J’eus beau insister, lui développer mon système de sainte famille, lui rappeler mes conditions, elle ne voulut rien entendre.

  • Non, disait-elle, on n’a jamais vu une grand’mère se mettre à genoux devant sa petite fille.

Il fallut céder, et je lui promis un changement à ma vierge.

  • Et mes anges, reprit-elle, où sont-ils ? Je ne les voie pas.
  • Mais c’était chose convenue, lui dis-je ; vous m’avez recommandé d’arranger les têtes de manière qu’on ne les vît pas. Eh bien, vous ne les voyez pas ; les têtes sont dissimulées derrière ce palmier qui les abrite de son feuillage.

J’eus de la peine à la convaincre, mais je lui avais fait la concession de ma Vierge, il fallait bien qu’elle m’accorda celle de ses têtes de chérubins.

En résumé, mon tableau encadré magnifiquement fut apporté avec pompe à Léoubes, et une grand’messe en musique, accompagnée d’une distribution de médailles, consacra l’œuvre sainte du grand maître. Malgré cette sorte de canonisation, je ne puis regarder sans rire mon portrait habillé en saint Joseph, et j’avoue que j’éprouve aujourd’hui, au sujet de moi, les mêmes scrupules que la grand’maman vis-à-vis sa petite fille. Je ne puis me décider à m’agenouiller sérieusement devant moi-même.

Notes et références

  1. L’auteur de cet article, Charles Marcotte de Quivières est le frère de notre ancêtre Félicité Marcotte de Quivières, épouse d’Émile Gérard. Suite à la publication de cet article, un internaute m’a communiqué un copie du manuscrit de ce texte. Le manuscrit est plus complet et plus intéressant à lire.
  2. Joséphine Félicité Gérard, née Mourre (1775-1848)

Léoube

Les enfants Abeille en vacances à Léoube

Pendant les vacances, les enfants Angèle, Geneviève, Maurice, Germaine, Marcelle, Marinette et Louis Abeille retrouvaient à Léoube une bande de cousins ainsi que leurs tantes. Ils étaient logés à la villa Maria avec la famille d’Émile Vincent. C’était une époque où les congés n’existaient pas pour les messieurs. Sous la responsabilité de Madame Bosc, « Les petites » ainsi nommées, terme péjoratif pour ces enfants orphelins, se sentaient un peu à part… Les garçons bénéficiaient de plus de liberté.

Tout le monde se retrouvait le dimanche pour déjeuner au château. Les domestiques mettaient le couvert et il y avait un petit couteau tout seul de son espèce et convoité par tous les enfants. Quand par le sort il tombait sur un des « petits », subrepticement, une des mères de famille le mettait à un de ses enfants. Donc aucun des « petits » n’a jamais eu le couteau convoité !1

« Les frivolités » – Souvenirs de Charles Vincent écrits par Colette Raffalli

La couture l’après midi – Août 1916

Parfois à l’issue du repas, oncle Edme se tournant vers ses nièces lançait : « Petite, à vos frivolités »… Ne croyez pas que sous ce vocable il y ait eu quelque chose d’affriolant. Non bien sûr que non. Il s’agissait simplement que le gent féminine prenne qui un crochet pour réaliser un col, qui une aiguille pour raccourcir un ourlet ou installer de nouveaux poignes à une robe etc…

Pendant ce temps là tous les cousins s’évanouissaient dans la nature, parcouraient les collines et les vallons et à bout de souffle fabriquaient un feu pour faire griller le poulet imprudent qui s’était égaré loin de la ferme…

A la fin de leurs travaux d’aiguilles, les cousines allaient en promenade sous la houlette de « Madame » leur gouvernante.

Ces petits moments de la vie allaient changer à l’approche de la guerre de 14. Vous avez sans doute remarqué que sur l’album de Suzanne Fabre, à la date de 1916, il n’y a pratiquement aucun cousin. Les seuls hommes présents sont en uniforme lors d’une permission. Mon père, engagé volontaire en 1916, était avec trois de ses frères au front, et mon grand-père engagé volontaire dans une milice qui surveillait jour et nuit par les sentiers des douaniers la rade de Toulon… Les délices de Léoube s’estompaient dans le bruit et la fureur dont les récits que mon père m’en faisait dépassaient l’entendement. Mais ceci est une autre histoire…

L’acquéreur de Léoube en 1921 fut un Monsieur Lebel qui avait fait fortune avec ses fusils pendant la guerre… Certains d’entre nous ont bien connu sa fille, Madame Olffensen qui se désolait que nous ayons dû nous séparer de tant de splendeurs. Ainsi va la vie…

Le temps des melons – Souvenirs de Charles Vincent écrits par Colette Raffalli

Il y avait un moment l’été où la saison des melons battait son plein. Sur la terrasse s’installaient alors dans leurs fauteuils de rotin les oncles qui se faisaient apporter les cageots. Leur mission était de choisir ceux que l’on servirait à table. Ils tiraient dons leurs couteaux de leurs poches, creusaient chacun un triangle dans un melon, goûtaient, puis, selon leur décision, jetaient dans un cageot vide l’objet de leur dégustation. Dans le cageot de droite, ils hurlaient « Bon pour les cochons », dans celui de gauche, « Bon pour la maison ». L’ennui, c’était que les oncles adoraient les melons et que leur dégustation s’étendait bien au delà des besoins de la table familiale. Au bout d’un moment s’ensuivait inévitablement des besoins naturels que le seul cabinet du coin ne pouvait permettre à deux personnes à la fois de soulager. On entendait alors par celui qui restait à l’extérieur du « petit coin », des gémissements et des supplications à fendre l’âme : « Edmond, je t’en supplie, laisse moi la place, je te donnerai ce que tu voudras mais ouvre par pitié. » C’était un spectacle réjouissant que je n’ai jamais oublié, d’autant plus qu’il se renouvelait, la gourmandise des oncles étant plus forte que le souvenir des conséquences inévitables qu’elle procurait.

A table – Souvenirs de Charles Vincent écrits par Colette Raffalli

L’été, nous déjeunions dehors sur la terrasse bordant la mer. D’immenses draps de toile étaient installés, tombant du 1er étage et s’appuyant sur la rambarde de façon à amortir la violence de la réverbération. Leurs mouvements au fil de la brise évoquaient les voiles d’un navire et engendraient des rêves de voyages et d’aventures. Cependant, nous étions fort nombreux : il y avait une table de parents et une immense table d’enfants extrêmement bruyante. Au début de chaque été l’oncle Edme, qui était célibataire et n’aimait pas le bruit, se levait, tapait sur son verre et annonçait d’une voix forte : « J’offrirai un âne à celui d’entre vous qui ne parlera pas à table durant tout l’été. » L’effet était spectaculaire et pendant deux ou trois jours, un silence de bénédictin présidait aux repas. Mais la tentation était la plus forte, petit à petit la parole reprenait ses droits et s’épanouissait jusqu’à retrouver la cacophonie habituelle, et c’est ainsi que l’oncle Edme n’eut jamais l’occasion d’acheter un seul âne…

A la chapelle – Souvenirs de Charles Vincent écrits par Colette Raffalli

Léoube : la chapelle, aujourd’hui démolie, et le château

Nous avions une tante Marie qui était très pieuse. Elle avait entendue dans sa jeunesse une voix lui disant « Marie, Marie, ne te marie pas » et elle avait décidé que la multitude de ses neveux suffirait à son bonheur. Bien entendu nous étions impérativement convoqués à la chapelle2 pour d’innombrables cérémonies que nos parents trouvaient quelques fois abusives et c’est ainsi qu’on assistait à l’occasion des vêpres notamment à la scène suivante. Tante Marie rentrait majestueusement dans la chapelle et s’installait au premier rang suivie par tous les oncles qui formaient comme un mur derrière elle, puis venaient en désordre le reste de la famille dont la horde de cousins qui s’installaient au fond. L’office commençait et l’un des oncles faisait au bout d’un moment avec la main un geste impératif désignant la porte de la sacristie ouverte et comme des sioux, en silence et en bon ordre, nous nous glissions dehors retrouver avec bonheur le soleil, la lumière impérieuse et les poursuites dans les bois. Tante Marie vécut très longtemps faisant bénéficier de sa générosité tous ceux que la vie avait meurtris et qu’elle pouvait rencontrer. Elle trouvait que notre famille avait été très gâtée par la vie et priait assidument pour que ses neveux soient pauvres. Mon père disait qu’elle y était remarquablement parvenue.

Le curé de la Londe les Maures – Souvenirs de Charles Vincent écrits par Colette Raffalli

Mon père ne se rappelait plus son nom mais très bien de sa gentillesse et de sa disponibilité… Avec l’avènement du chemin de fer à vapeur qui traversait tous ces bois entre Hyères et Bormes les Mimosas, invariablement les locomotives qui crachaient pas mal d’escarbilles arrivaient à mettre le feu… Aussitôt on envoyait un homme à cheval chez le curé qui sonnait à toute volée le tocsin pour avertir les populations. Chacun laissait là son ouvrage et se précipitait pour prêter main forte, qui avec des seaux d’eau, qui avec des branchages pour taper sur le feu. On allumait aussi des contre-feux et on ne peut pas dire qu’il y ait eu à cette époque les catastrophes que nous allions connaître bien plus tard dans le massif des Maures ou à Tanneron. Cette solidarité a disparu au grand regret de ceux qui l’ont vécue…

Une autre particularité de ce curé bienveillant était de répondre sans délai à l’appel de mon arrière-grand-mère Élise Gérard-Vincent tous les 15 août. Comme chacun de nous le sait, Sainte Marie est une grande fête dans notre famille dont tous les membres portent les prénoms de Marie Joseph. Ainsi ce brave homme par une belle chaleur arrivait en sueur au château où la famille l’attendait tellement nombreuse qu’à elle seule, elle formait la procession du 15 août partant de la chapelle pour déambuler sous les pins jusqu’à la statue de la Vierge en chantant des cantiques qui faisaient taire les cigales…

Je voudrais dire un mot de cette arrière-grand-mère décidée et imposante qui ne s’était jamais appuyé au dossier de n’importe lequel de ses fauteuils. Elle avait une grande allure, se tenait droite comme un i et avait une mémoire infaillible disait mon père. Il se rappelle très bien enfant être allé chaque premier janvier souhaiter la bonne année à cette fabuleuse grand-mère qui trônait toute la journée dans le grand salon de la place d’Armes à Toulon pour recevoir les hommages de son innombrable famille avec de chaque côté deux sacs remplis de pièces, l’un de 20 sous et l’autre de 200 sous. Elle donnait 20 sous à ceux qui n’avaient pas fait leur première communion et 100 sous à l’avaient faite. Mon père éberlué racontait qu’elle ne s’était jamais trompée…

Histoire de Léoube par Frédérik Lantelme

Le domaine de Léoube faisait partie, au XVIème siècle, du marquisat de Brégançon situé sur le territoire de la commune de Bormes, il est limité au sud sur une longueur de plus de 3 km par le rivage de la rade d’Hyères.

Il appartenait à François Bogogni qui le donna à son gendre en 1619. La descendance de ce dernier s’étant éteinte en 1745, Léoube fit retour à l’État qui dut le rétrocéder aux créanciers.

Ce fut Simon Segard, bijoutier à Paris, qui l’acquit, mais il le revendit l’année suivante, en 1746, aux frères Brémond qui se firent appeler Brémond de Léoube et le conservèrent jusqu’en 1840, date à laquelle ils le vendirent à Émile Gérard, âgée de 38 ans, fils de Joseph Dominique.

Le château date du XIVème siècle (donation par la reine Jeanne en 1348, comtesse de Provence et de Forcalquier) et il a fait l’objet de plusieurs restaurations en 1731 et 1883.

Léoube – Chemin de Pierre Blanche – Dessin à la plume d’Émile Vincent

Construit sur une éminence, sur son sol se développe une végétation exubérante de pins d’alep et de pins maritimes, de chênes-liège et de châtaigniers, vignes, oliviers et de toutes sortes de plantes odorantes répandues sur la Côte d’Azur, propre à inspirer Émile Vincent (1828 1907) (neveu d’Émile Gérard) qui nous laissera de nombreux tableaux, dessins et fusains, cités par Henri Vincent dans son ouvrage sur son père : Léoube, plage du Pellegrin (fusain), Chemin sous bois dans la forêt de Léoube (dessin à l’encre de Chine), Chemin de Pierre Blanche Léoube (dessin à la plume).

Le château, (on a une très belle vue sur la rade et les îles d’Hyères), comprend des appartements spacieux ; rez-de-chaussée, un grand salon et une salle à manger pouvant contenir 30 à 40 personnes. Au premier et deuxième étage : 18 chambres. Dans sa cave, on peut loger plus de 3000 hectos.

Les communs comprennent deux écuries et deux remises pouvant abriter une dizaine de chevaux. Une bergerie de 200 moutons.

Les récoltes de 1920 ont été les suivantes :  vin (3000 hectos), avoine (16 000 K.), fourrage (40 000 K.), pêche (5 000 K.), etc…

La superficie du domaine est d’environ 610 hectares, 500 en forêts, 54 vignobles, 25 en terres labourables, 31 bâtiments, parcs, chemins, etc…

Le parc est planté de magnifiques palmiers, d’eucalyptus gigantesques, d’une grande variété de mimosas et d’arbres exotiques.

Les descendants d’Émile Gérard ont du s’en séparer, la propriété a été mise en adjudication devant le tribunal de Toulon le samedi 23 avril 1921 sur la mise à prix d’un million de francs. Acquéreur : Messieurs Engelsen et Lebel.

Vente de Léoube le 23 avril 1921

Pour la vente aux enchères du 23 avril 1921, Pierre et Émile Gérard, Albert Dor et Henri Jombert réalise une brochure.

Cette brochure comporte des erreurs comme une interversion des légendes des photos. Pour notre famille, en page 6, J.D. Gérard étant décédé le 21 septembre 1930, c’est son fils Émile Gérard qui a acheté Léoube en 1840.

A noter que la valeur de la propriété était diminuée en raison des incendies de 1918 et 1919.

Léoube a été adjugé 1 501 000 francs à Monsieur L. Aubert. Henri Vincent rapporte que d’après M° Palenc, notaire à Hyères, M. Aubert a reconnu avoir eu la propriété à bon compte : il était persuadé qu’il ne l’aurait pas à moins 1 800 000 francs3.

Mise en vente de Léoube le 23 avril 1921 – Collection Marc de Raphélis-Soissan

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Notes et références

  1. Récits d’Annie Séjourné et de Mireille Caire
  2. Cette chapelle était accolée au château et est aujourd’hui démolie. A ne pas confondre avec la chapelle Saint Georges.
  3. Il y a une incohérence entre les noms des acheteurs donnés par Frédérik Lantelme et Henri Vincent.
  4. Trois familles provençales : Vincent – Gérard – Benet – Frédérik Lantelme – 1988 (pages 315 et 316)

Annulation d’un jugement rendu contre Emile Gérard – 17 décembre 1844

Emile Gérard (1802-1857)

Le 10 juillet 1840, Émile Gérard acheta, des frères Brémond de Léoubes, le château de Léoubes et ses dépendances, moyennant 80,000 francs. – Sur la demande de la régie, une expertise fut ordonnée par le tribunal de Toulon. – L’expert de la régie estima le domaine 169,408 francs 94 centimes ; l’expert de Gérard l’estima 81,380 francs. – Le juge de paix nomma tiers expert, qui estima l’immeuble 88,160 francs et 41 centimes. – La régie, relevant des erreurs partielles dans l’évaluation du tiers expert dingue que, d’après des bases posées par lui, l’évaluation de vaisselle levait à 93,832 francs 39 centimes.

Elle conclut à ce que l’expertise et la tierce expertise fussent déclarées nulles, et à ce qu’il fut procédé à une nouvelle expertise. – Gérard conclut à ce que, sans avoir égard à la demande de la régie il fut mis hors de cause et de procès. – Sur ces conclusions, le tribunal civil de Toulon rendit, le 27 décembre 1842, un jugement par lequel il homologue à le rapport de l’administration de l’enregistrement, et condamna Gérard dépens ;

Ces motifs sont qu’en admettant l’existence des irrégularités de forme signalées par l’administration dans les rapports des deux premiers experts, elles ne seraient pas de nature en entraîner la nullité ; que, la régie s’appuyant, pour sa demande, sur les erreurs commises par le tiers expert, le tribunal avait le droit d’examiner les rapports au fond ; – que les tribunaux ayant le droit d’ordonner une nouvelle expertise, on ne peut leur refuser la faculté de choisir, parmi les différentes estimations qui leur sont soumises, celle qui leur paraît la plus juste et le plus raisonnable ; – que l’estimation donnée par l’expert de l’administration est la seule qui soit juste et raisonnable et qui se rapportent véritablement à la valeur vénale de l’immeuble.

C’est contre ce jugement qu’Émile Girard s’est pourvu ; – son pourvoi est fondé, dans la forme, sur ce qu’il n’a pas été donné de motifs sur le rejet des conclusions tendantes à l’annulation de l’expertise, et sur ce que le jugement se contente de dire que l’opinion du tiers expert est la seule qui soit juste et raisonnable. Le demandeur trouve que ce ne sont pas des motifs dans le sens de la loi, et que le jugement doit être cassé, pour violation de l’article 141 du Code de procédure civile, et de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810. – Au fond, il soutient que le jugement a violé les articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ; – que ces articles veulent que la valeur des immeubles soit déterminée par une expertise ; que, s’il y a une tierce expertise, la valeur de l’immeuble ne peut pas être déterminée par l’avis de l’expert de la régie, mais par les deux avis les plus modérés, formant la majorité ; autrement, on prendrait pour l’évaluation un avis seul et qui serait le plus élevé, ce qui ne peut pas être.

La régie de l’enregistrement répond, sur le moyen de forme, que le demandeur n’est pas recevable à critiquer les motifs sur lesquels le jugement s’est appuyé pour rejeter ses conclusions, et sur l’insuffisance des motifs pour lesquels le jugement adopte l’avis de l’expert de la régie ; que le jugement adopte la vie de l’expert qu’il homologue et auquel il se réfère, ce qui suffit pour remplir le vœu de la loi. – Au fond, la régie répond qu’il est sans doute de règle, dans cette matière, que l’estimation soit faite par les experts, et que la majorité des opinions de ces experts fasse loi ; mais que le jugement attaqué n’a pas méconnu cette règle ; qu’il a choisi, entre les trois opinions divergentes, celle qui lui a paru la plus juste, et qu’en considérant que l’opinion du tiers expert, rectifié dans ses erreurs matérielles, arrive à résultat semblable à celui de l’expert de la régie, on doit conclure que le tribunal a suivi la majorité des experts.

Sur quoi, ouï M. le conseiller Simonneau, dans son rapport ; MMes Rigaud et Moutard-Martin, avocats des parties en leurs observations ; et M. Delangle, avocat général, en ses conclusions, et après en avoir délibéré en la chambre du conseil ;

Vu les articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ;

En droit, attendu que l’article 323 du Code de procédure civile, qui déclare que les juges ne sont pas astreints à suivre l’avis des experts, ne s’applique pas aux expertises en matière d’enregistrement ; – que les règles à suivre en cette matière sont tracées dans les deux articles précités, et que c’est aux experts seuls qu’est confiée la mission d’apprécier la valeur des immeubles dont il s’agit ; que la question de savoir s’il y a une plus-value doit être résolue par le résultat de l’expertise ; – que, si les deux experts nommés par les parties sont d’accord, les juges sont obligés de suivre leur avis ; – qu’en cas de partage, et après la nomination d’un tiers expert, soit qu’il ait été choisi par les deux premiers experts, soit qu’il ait été nommé par justice, c’est la vie de la majorité des experts qui doit faire la loi, puisque cet avis est le véritable résultat de l’expertise ; – que si les juges ne croient pas devoir s’arrêter à l’expertise, ils peuvent, même d’office, en ordonner une nouvelle, mais que, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, ils ne peuvent faire par eux-mêmes l’estimation des immeubles dont il s’agit, ni adopter arbitrairement l’avis isolé d’un des experts ; – que, s’ils avaient cette faculté, l’appel d’un tiers expert, en cas de partage, serait sans objet ; – en fait, attendu que le jugement attaqué, après qu’un tiers expert a été appelé, a adopté l’estimation isolée de l’expert de l’administration et homologué son rapport, comme s’il pouvait seul constituer le résultat de l’expertise, et qu’en statuant ainsi il a violé les dispositions des articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens,

La Cour casse et annule le jugement rendu, le 27 décembre 1842, par le tribunal civil de Toulon ; remet les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit jugement, les renvoie, pour être fait droit au fond, devant le tribunal civil de Draguignan.

Notes et références

Bulletin des arrêts de la Cour de cassation – Tome XLVI – Pages 372 à 374

Emile Gérard condamné aux dépens sur la valeur de Léoube – 27 décembre 1842

Emile Gérard (1802-1857)

Par acte notarié du 19 juil. 1840, le sieur Joseph Emile Gérard, négociant et propriétaire à Toulon, a acheté des frères Bremond le domaine de Léoube, au prix exprimé de 80,000 fr.

Ce prix ayant paru inférieur à la valeur vénale au jour de la vente, par comparaison avec les fonds voisins de même nature, un jugement du 6 juillet 1841 a ordonné, sur requête, que l’expertise serait faite par les sieurs Agarrat et Toucas, nommés, le premier par l’administration, le second pas le sieur Gérard.

Ces deux experts, dont chacun a exprimé son avis séparément dans le même procès-verbal, ont estimé le domaine de Léoube, savoir : le sieur Agarrat, à 169,408 francs, et le sieur Toucas à 81,380 fr.

Un tiers expert, le sieur Malet, a été régulièrement nommé. Son estimation s’est élevée à 88,040 fr.

L’administration, après avoir signalé des irrégularités de forme et critiqué les bases adoptées, a cru devoir demander qu’une nouvelle expertise fût ordonnée.

Le sieur Gérard a combattu cette demande ; il a demandé que l’estimation de son expert fût adoptée, et par suite que l’administration fût condamnée aux dépens.

Le 27 déc. 1842, le tribunal de Toulon :

Attendu qu’en admettant l’existence des irrégularités de forme signalées par l’administration dans les rapports des deux premiers experts, elles ne seraient pas de nature en entrainer la nullité ;

Attendu qu’en concluant à ce qu’aucune des expertises ne fût homologuée, l’administration s’est fondée non seulement sur des irrégularités de forme, mais encore sur les bases énoncées, adoptées par l’expert de Joseph-Emile Gérard et le tiers expert dans l’estimation du domaine de Léoube ; que, par suite, le tribunal se trouve appelé à examiner ces rapports au fond, à apprécier les bases d’estimation adoptées par chacun des experts, et à rechercher si parmi ces rapports il en est qui soient à l’abri de toute critique et lui présentent des garanties suffisantes pour mériter son homologation ;

Attendu que, si les tribunaux ont la faculté d’ordonner une nouvelle expertise pour éclairer les religion lorsque l’estimation des premiers experts leur parait défectueuse, on ne saurait leur refuser la faculté de choisir, parmi les différentes estimations qui leur sont soumises, celle qui leur parait la plus juste et la plus raisonnable, surtout lorsque celle-ci présente des éléments vrais et complet d’appréciation ; que cette manière de procéder a été sanctionnée le 26 avril 1841 (art. 12,757 de ce journal) par la Cour de cassation dans une espèce où, comme dans la cause actuelle, le tribunal civil d’Arras, ayant à statuer sur la demande de l’administration tendant à une nouvelle expertise, a successivement apprécié les bases adoptées par chacun des trois experts et adopté l’estimation de l’un d’eux ;

Attendu que, quels que soient le prix et les accessoires du prix réellement et sincèrement payés, les tribunaux doivent seulement rechercher quelle est la véritable valeur vénale es immeubles soumis à l’expertise ;

Attendu que, dans l’espèce ; l’estimation donnée par l’expert de l’administration est la seule qui soit juste et raisonnable et qui se rapporte véritablement à la valeur vénale du domaine de Léoube ;

Attendu qu’aux termes de l’art. 18 de la loi du 22 frim. an 7, les frais de l’expertise doivent être à la charge de l’acquéreur lorsque l’estimation excède d’un huitième le prix énoncé au contrat ;

Sans s’arrêter aux fins en nullité de l’administration de l’enregistrement et des domaines, homologue le rapport d’estimation du domaine de Léoube fait par Laurent-Augustin Agarrat, ancien notaire de Lagarde ; condamne Joseph-Emile Gérard aux dépens, taxés à la somme de 947 francs 76 c.

Notes et références

Journal de l’enregistrement et des domaines, par une Société d’Employés supérieurs de l’Administration – Du 21 mars 1843 – pages 163 et 164

Brochure pour la vente aux enchères de Léoube en 1921

Cette brochure comporte des erreurs comme une interversion des légendes des photos. Pour notre famille, en page 6, J.D. Gérard étant décédé le 21 septembre 1930, c’est son fils Émile Gérard qui a acheté Léoube en 1840.

A noter que la valeur de la propriété était diminuée en raison des incendies de 1918 et 1919.

Léoube a été adjugé 1 501 000 francs à Monsieur L. Aubert. Henri Vincent rapporte que d’après M° Palenc, notaire à Hyères, M. Aubert a reconnu avoir eu la propriété à bon compte : il était persuadé qu’il ne l’aurait pas à moins 1 800 000 francs.

La brochure a été réalisée par Pierre et Émile Gérard, Albert Dor et Henri Jombert.