Annulation d’un jugement rendu contre Emile Gérard – 17 décembre 1844

Emile Gérard (1802-1857)

Le 10 juillet 1840, Émile Gérard acheta, des frères Brémond de Léoubes, le château de Léoubes et ses dépendances, moyennant 80,000 francs. – Sur la demande de la régie, une expertise fut ordonnée par le tribunal de Toulon. – L’expert de la régie estima le domaine 169,408 francs 94 centimes ; l’expert de Gérard l’estima 81,380 francs. – Le juge de paix nomma tiers expert, qui estima l’immeuble 88,160 francs et 41 centimes. – La régie, relevant des erreurs partielles dans l’évaluation du tiers expert dingue que, d’après des bases posées par lui, l’évaluation de vaisselle levait à 93,832 francs 39 centimes.

Elle conclut à ce que l’expertise et la tierce expertise fussent déclarées nulles, et à ce qu’il fut procédé à une nouvelle expertise. – Gérard conclut à ce que, sans avoir égard à la demande de la régie il fut mis hors de cause et de procès. – Sur ces conclusions, le tribunal civil de Toulon rendit, le 27 décembre 1842, un jugement par lequel il homologue à le rapport de l’administration de l’enregistrement, et condamna Gérard dépens ;

Ces motifs sont qu’en admettant l’existence des irrégularités de forme signalées par l’administration dans les rapports des deux premiers experts, elles ne seraient pas de nature en entraîner la nullité ; que, la régie s’appuyant, pour sa demande, sur les erreurs commises par le tiers expert, le tribunal avait le droit d’examiner les rapports au fond ; – que les tribunaux ayant le droit d’ordonner une nouvelle expertise, on ne peut leur refuser la faculté de choisir, parmi les différentes estimations qui leur sont soumises, celle qui leur paraît la plus juste et le plus raisonnable ; – que l’estimation donnée par l’expert de l’administration est la seule qui soit juste et raisonnable et qui se rapportent véritablement à la valeur vénale de l’immeuble.

C’est contre ce jugement qu’Émile Girard s’est pourvu ; – son pourvoi est fondé, dans la forme, sur ce qu’il n’a pas été donné de motifs sur le rejet des conclusions tendantes à l’annulation de l’expertise, et sur ce que le jugement se contente de dire que l’opinion du tiers expert est la seule qui soit juste et raisonnable. Le demandeur trouve que ce ne sont pas des motifs dans le sens de la loi, et que le jugement doit être cassé, pour violation de l’article 141 du Code de procédure civile, et de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810. – Au fond, il soutient que le jugement a violé les articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ; – que ces articles veulent que la valeur des immeubles soit déterminée par une expertise ; que, s’il y a une tierce expertise, la valeur de l’immeuble ne peut pas être déterminée par l’avis de l’expert de la régie, mais par les deux avis les plus modérés, formant la majorité ; autrement, on prendrait pour l’évaluation un avis seul et qui serait le plus élevé, ce qui ne peut pas être.

La régie de l’enregistrement répond, sur le moyen de forme, que le demandeur n’est pas recevable à critiquer les motifs sur lesquels le jugement s’est appuyé pour rejeter ses conclusions, et sur l’insuffisance des motifs pour lesquels le jugement adopte l’avis de l’expert de la régie ; que le jugement adopte la vie de l’expert qu’il homologue et auquel il se réfère, ce qui suffit pour remplir le vœu de la loi. – Au fond, la régie répond qu’il est sans doute de règle, dans cette matière, que l’estimation soit faite par les experts, et que la majorité des opinions de ces experts fasse loi ; mais que le jugement attaqué n’a pas méconnu cette règle ; qu’il a choisi, entre les trois opinions divergentes, celle qui lui a paru la plus juste, et qu’en considérant que l’opinion du tiers expert, rectifié dans ses erreurs matérielles, arrive à résultat semblable à celui de l’expert de la régie, on doit conclure que le tribunal a suivi la majorité des experts.

Sur quoi, ouï M. le conseiller Simonneau, dans son rapport ; MMes Rigaud et Moutard-Martin, avocats des parties en leurs observations ; et M. Delangle, avocat général, en ses conclusions, et après en avoir délibéré en la chambre du conseil ;

Vu les articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ;

En droit, attendu que l’article 323 du Code de procédure civile, qui déclare que les juges ne sont pas astreints à suivre l’avis des experts, ne s’applique pas aux expertises en matière d’enregistrement ; – que les règles à suivre en cette matière sont tracées dans les deux articles précités, et que c’est aux experts seuls qu’est confiée la mission d’apprécier la valeur des immeubles dont il s’agit ; que la question de savoir s’il y a une plus-value doit être résolue par le résultat de l’expertise ; – que, si les deux experts nommés par les parties sont d’accord, les juges sont obligés de suivre leur avis ; – qu’en cas de partage, et après la nomination d’un tiers expert, soit qu’il ait été choisi par les deux premiers experts, soit qu’il ait été nommé par justice, c’est la vie de la majorité des experts qui doit faire la loi, puisque cet avis est le véritable résultat de l’expertise ; – que si les juges ne croient pas devoir s’arrêter à l’expertise, ils peuvent, même d’office, en ordonner une nouvelle, mais que, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, ils ne peuvent faire par eux-mêmes l’estimation des immeubles dont il s’agit, ni adopter arbitrairement l’avis isolé d’un des experts ; – que, s’ils avaient cette faculté, l’appel d’un tiers expert, en cas de partage, serait sans objet ; – en fait, attendu que le jugement attaqué, après qu’un tiers expert a été appelé, a adopté l’estimation isolée de l’expert de l’administration et homologué son rapport, comme s’il pouvait seul constituer le résultat de l’expertise, et qu’en statuant ainsi il a violé les dispositions des articles 17 et 18 de la loi du 22 frimaire an VII ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens,

La Cour casse et annule le jugement rendu, le 27 décembre 1842, par le tribunal civil de Toulon ; remet les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit jugement, les renvoie, pour être fait droit au fond, devant le tribunal civil de Draguignan.

Notes et références

Bulletin des arrêts de la Cour de cassation – Tome XLVI – Pages 372 à 374

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.