Quelques souvenirs sur Unang et les de Soissans – Abbé Rodolphe Charrasse, fils du docteur Jean-Baptiste Charrasse

Le château d’Unang

Château d’Unang
Extrait du livre de Marie-Thérèse Jouveau sur Joseph d’Arbaud

Caractéristiques. Site. Description générale.

Château d’agrément, constitué par de grands bâtiments, sans style proprement dit : une résidence provinciale, où vécut une noble famille.

Située dans un site pittoresque, à un kilomètre et demi de Malemort, sur la route de Méthamis (à droite à quelques centaines de mètres) au bord d’un vallon ombragé. Quelques terres de culture, mais […] des bouquets de gros chênes, quelques cyprès, et autour du château, de grands platanes très décoratifs.

Le château est une vaste bâtisse. A l’arrivée, par le chemin tortueux et vallonné, on débouche sur une sorte d’esplanade, avec au centre, comme sobre motif d’ornement, un palmier entouré d’une corbeille de lierre.

On a en face de soi la façade latérale du château, qui sert d’entrée. Un porche, perçant de part en part cette aile latérale, et laissant voir en perspective la terrasse, ou plutôt, l’allée qui brode le bâtiment central, avec, au fond, les escaliers de la petite chapelle gothique où reposent maintenant les corps du marquis de Raphélis Soissans, mort aux zouaves pontificaux, ceux de la marquise que nous avons connue et de sa fille Edgarde, ainsi que les corps du père Simiani, du père Magne.

Le porche finit par une grille en fer forgé, et un vestibule en arceau, de plein pied avec le sol, pavé, donnant entrée à droite aux escaliers de ces dames. La fenêtre au-dessus est celle de « la bibliothèque », appartement de petites dimensions où se tenaient généralement ces dames, dont on apercevait ordinairement à l’arrivée la silhouette dans l’encadrement des rideaux…

Cette façade latérale constituait l’une des deux ailes du bâtiment. Elle se prolongeait à droite par une tourelle entourée de lierre, puis par des appartements de service, avec à l’angle une seconde tourelle dont la porte donnait sur l’esplanade, et où furent aménagés plus tard des appartements pour M. l’aumônier (l’abbé Sautel, l’abbé Camicar). En bordure de l’esplanade, sur la droite, des écuries et autres dépendances où logeaient les fermiers.

Le bâtiment principal était constitué par une série d’appartements en enfilade, donnant une perspective curieuse : dans l’un de ses appartements, au rez-de-chaussée, se trouvait la salle à manger où l’on pouvait admirer un magnifique buffet Renaissance, orné de cariatides, à la sculpture remarquable et finement fouillée, attribué d’ailleurs par certains à Jean Goujon, et dont on avait vainement offert à Mme de Soissans un million…

Au premier étage, autre appartements en enfilades, salons ? et chambres…

L’antichambre de ce premier étage, que l’on traversait au sorti des escaliers, et d’où, par quelques autres marches, on accédait dans la « bibliothèque », servit de salle à manger après la mort de Mlle Edgarde…

C’est en ce premier étage qu’avait été aménagée une chapelle intérieure d’hiver, très intime, où les corps de Mlle Edgarde, du père Magne et de Mme reposaient après leur mort, et où furent des messes […] présent.

La façade principale donnant sur la place : une longue bâtisse, percée régulièrement de portes et de fenêtres. Au devant, une allée bordée de beaux platanes, et de rampes de buis, avec autres motifs de buis taillés avec point. Puis le parc, en plantations à palisses, progressifs, en étages, ombragées de grands arbres, où le père de Simiani s’exerça parfois au travail manuel… De grands bassins plus ou moins délabrés et délaissés.

A l’extrémité de l’allée, en limitant agréablement la perspective, la gracieuse chapelle gothique, au-dessus d’un perron de quelques marches, chapelle où j’ai célébré une de mes premières messes en juillet 1915.

Quelques souvenirs sur Unang et les de Soissans – Abbé Rodolphe Charrasse, fils du docteur Jean-Baptiste Charrasse

Ces dames

Edgarde et Louise de Raphélis-Soissan – Une famille en Provence chronique photographique 1894-1914, page 218

La marquise de Raffélis-Soissan, dont le mari1 mourut très jeune, quelques temps avant la naissance de sa fille, zouave pontifical : ce qui permettait à ces dames d’avoir accès aux audiences privées au Vatican, surtout au temps de Pie X, lors de leurs voyages fréquents à Rome, où elles connaissaient le cardinal Merry Del Val.

L’une de ses expressions favorites : « C’est merveilleux ! »

Ses deux amours : le Pape et le Roy.

Un grand éloge dans sa bouche : « Il est très Action française !… »

Elle est morte à Unang, quelques années après sa fille Edgarde ; d’ailleurs, depuis la mort d’Edgarde, elle avait promis à sa mémoire de ne plus sortir du domaine d’Unang : elle tint parole.

Melle Edgarde – Marie Josèphe Louise Edgarde de Raffélis-Soissan – née le 25 mars 1866, fête de l’Annonciation, retournée à Dieu le 11 février 1916, fête de l’apparition de Notre Dame à Lourdes, donc âgée de 50 ans. Physionomie discrète, effacée, visage ravagé, sans aucun charme naturel. Mais âme très intérieure, liliale.

Elles ne s’étaient jamais quittées, sa mère et elle. Très unies, ne quittant guère Unang que pour Rome. Vie très retirée dans le site solitaire et recueilli d’Unang. De temps à autre, elles excursionnent dans les gorges de Méthamis et de Murs, accompagnées parfois d’un de leurs hôtes, suivies généralement de leur servante Eugénie ou de Ninon, la vieille nourrice d’Edgarde, portant les provisions de bouche.

Elles ont le piolet, ou plutôt l’alpenstock, à la main. et le chapeau de paille enveloppé d’un large voile telles les grandes dames d’autrefois lorsqu’elles partaient en voyage. D’ailleurs, elles ignorent les excentricités et les variations de modes actuelles, toujours vêtues à la mode d’autrefois, de longues jupes à traine, des corsages aux cols montants, et aux poimanches descendant jusqu’aux poignets, Mme la marquise à peu près toujours en couleur noire, sa fille Edgarde très souvent en blanc (ou en bleu), les couleurs préférées de la Vierge…

On respire, à Unang, une atmosphère d’autrefois, on se croit revenu d’un ou deux siècles en arrière.

Ces dames ne sont pas de leur temps, elles vivent dans un monde quelque peu irréel mais cette sorte de régression dans le passé, en leur compagnie, ne manque pas de charme et leur conversation est intéressante (Dieu et le Roi, des biographies de mystiques, des anecdotes… Elles reçoivent force revues. Elles entretiennent une vaste correspondance, elles sont en relation au moins épistolaire avec des personnalités très variées ;  elles offrent même parfois l’hospitalité d’Unang à certaines d’entre elles : Joseph d’Arbaud2, Delest A.F.

Quelques personnalités rencontrées chez elles

Surtout des religieux appartenant ordinairement à des ordres divers.

Le père Magne, S. J. qui mourut à Unang et y est enseveli.

Le père de Simiani, cistercien appartenant à une grande famille d’Italie, diabétique.

Le père Paulin, long, maigre, chauve, physionomie originale. Il assura l’intérim de Malemort à la mort du bon et vieil abbé Girard.

Dom Léonce, cistercien de Lérins et de Sénanque, avec lequel nous dinâmes3, en famille à Unang, lorsque, revenant de Sénanque, il regagnait Lérins, abbé nommé mais non encore intronisé de l’abbaye de Lérins.

Vers 1914, l’aventurier qui se fit passer pour un dominicain polonais et n’était qu’un espion, garçon coiffeur ? arrêté quelque temps plus tard à Nice… Il avait été reçu par le chanoine Peyron, le père d’Alauyer, l’archiprêtre, etc et vint à Unang où il célébra la messe, communia… et confessa sans doute ces dames !

Nos visites périodiques à Unang

Mon père étant leur docteur, nous leur rendions visite au moins chaque année, au printemps généralement. Et plusieurs fois nous y dinâmes en famille.

On s’entassait sur la petite voiture, attelée de Faust ou de Bijou, deux ou trois sur la banquette avant, deux ou trois sur la banquette arrière.

Il fallait pour s’y rendre, une heure un quart environ. Lorsque nous débouchions sur l’esplanade, nous apercevions généralement ces dames derrière les vitres de leur bibliothèque. Eugénie, leur cuisinière si dévouée nous accueillait sous le porche et nous introduisait. Parfois la vieille Ninon dont le mari était le jardinier d’Unang.

Elles nous prêtaient assez souvent quelques-unes de leurs revues, notamment le Panache Blanc ou la Revue d’A. F. qui, à ce moment-là, n’était pas condamnée.

Royalistes, elles étaient pour le comte de Chambord et n’aimaient pas d’Orléans.

Pour fêter mon sous-diaconat

Elles nous invitèrent à diner chez elles. Malgré la présence du père […], je fus mis à la place d’honneur, une guirlande de fleurs ornait mon assiette. On me fit tous les honneurs, pour honorer en moi l’élu du Seigneur…

Un diner en compagnie de l’abbé Sautel, curé de Venasque

On servit un gigot faisandé qui, dès son entrée, éveilla mon odorat, notre odorat ! et me fit tout d’abord penser qu’on aller nous servir du chevreuil.

Chacun de nous s’attendait à ce que Mme de Soissan prenne l’initiative de reconnaître que vraiment ce gigot était un peu trop avancé, mais en vain ; chacun dut se résigner à y faire honneur, autant que faire se pourrait. Papa réussit cependant à en faire disparaitre une portion dans la poche de sa veste. Il n’y eut que le bon abbé Sautel[Victor Poucel a écrit une biographie : L’abbé L. Sautel, curé de Venasque (1857-1926)] qui, myope, le nez dans son assiette, mais tout à ce qu’il racontait, mangea sa portion intégralement et somme toute de fort bon appétit, sans se douter de rien.

Le plus curieux de l’affaire est que le gigot pourri ne fit de mal à personne !

Un diner dans l’antichambre, quelques temps après la mort d’Edgarde, en compagnie, je crois, de dom Léonce, abbé nommé de Lérins

Il fut caractérisé par ce fait, assez impressionnant d’ailleurs, que la porte de la chambre d’Edgarde, conservée dans l’état où elle se trouvait au jour de la mort, resta entrouverte, et que le couvert d’Edgarde et sa chaise demeurèrent à leur place habituelle, comme si Edgarde allait revenir. Il en était de même chaque jour, d’après la volonté de Mme, pour attester la présence invisible de sa fille si regrettée…

L’une de mes premières messes fut dite par moi à Unang., quelques jours à peine après mon ordination. Le vin qui me fut présenté était rouge.

Souvenir rétrospectif d’Unang à Mazan

Pour la béatification de Jeanne d’Arc, j’allais moi-même chercher ces dames à Unang, avec Faust. Melle Edgarde monta à mes côtés mais Mme de Soissan, qui ne craignait pas l’auto, conservait pour la voiture une appréhension irrésistible depuis qu’elle avait été témoin d’un accident survenu avec ce moyen de locomotion.

Mme de Soissan ne voulut pas monter et suivit la voiture qui bien entendu dut faire au pas la route d’Unang à Mazan, à pied, le bâton à la main, l’autre main tenant la voiture. On conversa aimablement tout le long du chemin.

Elles dinèrent à la maison.

Elles nous avaient prêté pour la circonstance une grande toile représentant Jeanne d’Arc à cheval, que Melle Edgarde avait peinte elle-même, et que, avec Gaston, nous fixâmes, non peine ni danger, au sommet de la maison, au-dessus de la porte d’entrée, dont la corniche était ornée de vases de géranium. De chaque côté, des drapeaux, des oriflammes, et aux fenêtres, des transparents, accessoires pour l’illumination du soir.

C’est le jour où l’abbé Archelet nous donna, à l’église de Mazan, un panégyrique si long, que j’écoutais de la tribune, et qui fut suivi d’une procession très solennelle à travers les rues du pays.

Le soir une dernière cérémonie nous réunissait à l’église dont la façade était brillamment illuminée.

Notes et références

  1. Edgar de Raffélis-Soissan
  2. Joseph d’Arbaud était le petit fils d’Eugénie de Raphélis-Soissan
  3. Déjeuner dans le langage de l’époque, le repas du soir étant le souper

Edgar de Raphélis-Soissan (1842-1865)

Edgar de Raphélis-Soissan est surtout connu comme zouave pontifical.

Enfance

Edgar de Raphélis-Soissan nait le 24 août 1842 à Cavaillon.

Son père, Charles de Raphélis-Soissan, meurt en 1851 et a un fils posthume, Louis, qu’Edgar entoure des soins les plus affectueux.

Zouave pontifical

Avant l’unification de l’Italie (1848-1870) existait un état pontifical qui s’étendait de la Méditerranée, avec Rome, à l’Adriatique et coupait la péninsule en deux.

Garibaldi bat, en 1860 à Castelfidardo, l’armée du Pape qui doit se replier sur la province entourant Rome. Celle défaite a un grand retentissement dans les milieux catholiques ultramontains, particulièrement en France et en Belgique. Un corps de volontaires est alors constitué pour défendre le pouvoir temporel du Pape, que l’on estime indispensable à son indépendance.

Dans le livre Les Soldats du Pape (Amyot Paris 1868) Oscar Poli raconte les marches et les contremarches que font alors les zouaves, sans rencontrer beaucoup de résistance de la part des Garibaldiens. Au gré des fluctuations du front, les villageois pavoisent aux couleurs du Piémont ou du Pape, avec parfois des méprises sur le parti auquel appartient le corps de troupe arrivant. Une fois les volontaires du Pape aiguisent ostensiblement leur baïonnette sur la place du village pour impressionner la population.

Trois frères, Edgar, Casimir et Maurice de Raphélis-Soissan s’engagent tour à tour dans les zouaves pontificaux. Edgar rejoint Rome le 4 février 1861.

Edgar est réputé parmi ses camarades pour sa gaieté et son humour. Le 10 avril 1861, il écrit de Rome la lettre suivante à son cousin Maurice :

Ah! ah! cher Maurice, je te vois déjà ouvrir de grands yeux en voyant ma lettre. Tu te passes déjà la langue sur les lèvres… Je t’avertis que ça sent la puce d’une lieu, à preuve que j’en ai une qui me pique le mollet. Ces vilaines bêtes sont comme les piémontais, elles se fourrent partout. … Et nous ne sommes encore qu’au printemps, ce n’est que l’avant-garde. Il paraît que l’été, nous aurons une véritable armée d’occupation.

Et maintenant, veux-tu que je te donne un spécimen de la vie d’un zouzou ? D’abord il ne faut pas être délicat. As-tu jamais couché par terre avec une simple couverture en guise de paillasse, de matelas et de draps? Quand on est de garde au milieu de la nuit il faut se tenir deux heures dans une guérite sous une pluie battante qui vient vous fouetter la figure. … et crier à tous les passants « qui vive ». S’ils ne répondaient pas, il faudrait le plus gentiment du monde leur passer la baïonnette au travers de l’abdomen. Ça ne m’est pas encore arrivé car ils ont grand soin de crier « amici » et de vite f… le camp. Puis vous allez mollement vous étendre sur une bonne planche avec votre sac dur pour oreiller. A peine avez-vous tapé de l’œil, comme on dit, que vous entendez le caporal de garde crier : numéro 7, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 debout pour la patrouille. La pluie tombe toujours, ce n’est pas gai, on met le capuchon sur la tête, le fusil sur l’épaule et en avant marche !

On va, par ce beau temps, faire un petit tour de promenade sentimentale à travers les rues de la ville, pendant une petite heure. On revient mouillé comme des tritons sortant du sein d’Amphitrite et on se dépêche de s’endormir en attendant la nouvelle garde. … Et quand on nous commande de corvée pour peler les pommes de terre ou éplucher les lentilles, une chose est bien certaine, si c’est moi qui les ai triées, je me garde bien d’en manger, car je serais certain de me casser au moins 5 ou 6 dents.

Avec ça, on fait l’exercice, on cire ses bottes, on blanchit ses guêtres, … on astique son sabre et son fusil. … Et on a tantôt les mains noires tantôt blanches tantôt jaunes. … Les puces toujours nous tourmentent, peut-être en serons-nous bientôt délivrés, les punaises, dit-on, les mangeront.

Adieu, mon cher cousin, un bon baiser à la zouzou et tout à toi.

Il demeure deux ans zouave pontifical, est nommé caporal au mois de novembre 1862 et quelques mois plus tard regagne Avignon où la santé de sa mère donne des signes d’inquiétude.

Mariage et décès

Edgar épouse le 27 octobre 1864 Louise d’Olivier de Pezet, que ses neveux surnommeront « la tante d’Unang » du nom de son château à Malemort du Comtat.

Sa mère meurt le 8 décembre 1864 et à 22 ans il devient chef de famille, en charge de ses trois jeunes frères. « Il faut que j’ai soin de mes frères. Il faut que je sois pour eux, bien jeunes encore, père et mère à la fois. »

Charles, son plus jeune frère étant gravement malade, Edgar passe des jours et des nuits à le soigner et contracte ainsi la tuberculose1 qui devait l’épuiser et l’emporter.

Il meurt le 10 décembre 1865 à Avignon. Il a une fille posthume, surnommée Edgarde, née le 20 mars 1866.

Notes et références

Notes

  • Charles de Raphélis-Soissan, Histoire et généalogie de la famille de Raphélis-Soissan et des familles alliées, inédit.
  • Oscar de Poli, Les soldats du pape (1860 – 1867), édition Amyot, quatrième édition, pages 257 à 267.

Références

  1. Marie-Thérèse Jouveau, Joseph d’Arbaud, page 235