Quelques souvenirs sur Unang et les de Soissans – Abbé Rodolphe Charrasse, fils du docteur Jean-Baptiste Charrasse

Ces dames

Edgarde et Louise de Raphélis-Soissan – Une famille en Provence chronique photographique 1894-1914, page 218

La marquise de Raffélis-Soissan, dont le mari1 mourut très jeune, quelques temps avant la naissance de sa fille, zouave pontifical : ce qui permettait à ces dames d’avoir accès aux audiences privées au Vatican, surtout au temps de Pie X, lors de leurs voyages fréquents à Rome, où elles connaissaient le cardinal Merry Del Val.

L’une de ses expressions favorites : « C’est merveilleux ! »

Ses deux amours : le Pape et le Roy.

Un grand éloge dans sa bouche : « Il est très Action française !… »

Elle est morte à Unang, quelques années après sa fille Edgarde ; d’ailleurs, depuis la mort d’Edgarde, elle avait promis à sa mémoire de ne plus sortir du domaine d’Unang : elle tint parole.

Melle Edgarde – Marie Josèphe Louise Edgarde de Raffélis-Soissan – née le 25 mars 1866, fête de l’Annonciation, retournée à Dieu le 11 février 1916, fête de l’apparition de Notre Dame à Lourdes, donc âgée de 50 ans. Physionomie discrète, effacée, visage ravagé, sans aucun charme naturel. Mais âme très intérieure, liliale.

Elles ne s’étaient jamais quittées, sa mère et elle. Très unies, ne quittant guère Unang que pour Rome. Vie très retirée dans le site solitaire et recueilli d’Unang. De temps à autre, elles excursionnent dans les gorges de Méthamis et de Murs, accompagnées parfois d’un de leurs hôtes, suivies généralement de leur servante Eugénie ou de Ninon, la vieille nourrice d’Edgarde, portant les provisions de bouche.

Elles ont le piolet, ou plutôt l’alpenstock, à la main. et le chapeau de paille enveloppé d’un large voile telles les grandes dames d’autrefois lorsqu’elles partaient en voyage. D’ailleurs, elles ignorent les excentricités et les variations de modes actuelles, toujours vêtues à la mode d’autrefois, de longues jupes à traine, des corsages aux cols montants, et aux poimanches descendant jusqu’aux poignets, Mme la marquise à peu près toujours en couleur noire, sa fille Edgarde très souvent en blanc (ou en bleu), les couleurs préférées de la Vierge…

On respire, à Unang, une atmosphère d’autrefois, on se croit revenu d’un ou deux siècles en arrière.

Ces dames ne sont pas de leur temps, elles vivent dans un monde quelque peu irréel mais cette sorte de régression dans le passé, en leur compagnie, ne manque pas de charme et leur conversation est intéressante (Dieu et le Roi, des biographies de mystiques, des anecdotes… Elles reçoivent force revues. Elles entretiennent une vaste correspondance, elles sont en relation au moins épistolaire avec des personnalités très variées ;  elles offrent même parfois l’hospitalité d’Unang à certaines d’entre elles : Joseph d’Arbaud2, Delest A.F.

Quelques personnalités rencontrées chez elles

Surtout des religieux appartenant ordinairement à des ordres divers.

Le père Magne, S. J. qui mourut à Unang et y est enseveli.

Le père de Simiani, cistercien appartenant à une grande famille d’Italie, diabétique.

Le père Paulin, long, maigre, chauve, physionomie originale. Il assura l’intérim de Malemort à la mort du bon et vieil abbé Girard.

Dom Léonce, cistercien de Lérins et de Sénanque, avec lequel nous dinâmes3, en famille à Unang, lorsque, revenant de Sénanque, il regagnait Lérins, abbé nommé mais non encore intronisé de l’abbaye de Lérins.

Vers 1914, l’aventurier qui se fit passer pour un dominicain polonais et n’était qu’un espion, garçon coiffeur ? arrêté quelque temps plus tard à Nice… Il avait été reçu par le chanoine Peyron, le père d’Alauyer, l’archiprêtre, etc et vint à Unang où il célébra la messe, communia… et confessa sans doute ces dames !

Nos visites périodiques à Unang

Mon père étant leur docteur, nous leur rendions visite au moins chaque année, au printemps généralement. Et plusieurs fois nous y dinâmes en famille.

On s’entassait sur la petite voiture, attelée de Faust ou de Bijou, deux ou trois sur la banquette avant, deux ou trois sur la banquette arrière.

Il fallait pour s’y rendre, une heure un quart environ. Lorsque nous débouchions sur l’esplanade, nous apercevions généralement ces dames derrière les vitres de leur bibliothèque. Eugénie, leur cuisinière si dévouée nous accueillait sous le porche et nous introduisait. Parfois la vieille Ninon dont le mari était le jardinier d’Unang.

Elles nous prêtaient assez souvent quelques-unes de leurs revues, notamment le Panache Blanc ou la Revue d’A. F. qui, à ce moment-là, n’était pas condamnée.

Royalistes, elles étaient pour le comte de Chambord et n’aimaient pas d’Orléans.

Pour fêter mon sous-diaconat

Elles nous invitèrent à diner chez elles. Malgré la présence du père […], je fus mis à la place d’honneur, une guirlande de fleurs ornait mon assiette. On me fit tous les honneurs, pour honorer en moi l’élu du Seigneur…

Un diner en compagnie de l’abbé Sautel, curé de Venasque

On servit un gigot faisandé qui, dès son entrée, éveilla mon odorat, notre odorat ! et me fit tout d’abord penser qu’on aller nous servir du chevreuil.

Chacun de nous s’attendait à ce que Mme de Soissan prenne l’initiative de reconnaître que vraiment ce gigot était un peu trop avancé, mais en vain ; chacun dut se résigner à y faire honneur, autant que faire se pourrait. Papa réussit cependant à en faire disparaitre une portion dans la poche de sa veste. Il n’y eut que le bon abbé Sautel[Victor Poucel a écrit une biographie : L’abbé L. Sautel, curé de Venasque (1857-1926)] qui, myope, le nez dans son assiette, mais tout à ce qu’il racontait, mangea sa portion intégralement et somme toute de fort bon appétit, sans se douter de rien.

Le plus curieux de l’affaire est que le gigot pourri ne fit de mal à personne !

Un diner dans l’antichambre, quelques temps après la mort d’Edgarde, en compagnie, je crois, de dom Léonce, abbé nommé de Lérins

Il fut caractérisé par ce fait, assez impressionnant d’ailleurs, que la porte de la chambre d’Edgarde, conservée dans l’état où elle se trouvait au jour de la mort, resta entrouverte, et que le couvert d’Edgarde et sa chaise demeurèrent à leur place habituelle, comme si Edgarde allait revenir. Il en était de même chaque jour, d’après la volonté de Mme, pour attester la présence invisible de sa fille si regrettée…

L’une de mes premières messes fut dite par moi à Unang., quelques jours à peine après mon ordination. Le vin qui me fut présenté était rouge.

Souvenir rétrospectif d’Unang à Mazan

Pour la béatification de Jeanne d’Arc, j’allais moi-même chercher ces dames à Unang, avec Faust. Melle Edgarde monta à mes côtés mais Mme de Soissan, qui ne craignait pas l’auto, conservait pour la voiture une appréhension irrésistible depuis qu’elle avait été témoin d’un accident survenu avec ce moyen de locomotion.

Mme de Soissan ne voulut pas monter et suivit la voiture qui bien entendu dut faire au pas la route d’Unang à Mazan, à pied, le bâton à la main, l’autre main tenant la voiture. On conversa aimablement tout le long du chemin.

Elles dinèrent à la maison.

Elles nous avaient prêté pour la circonstance une grande toile représentant Jeanne d’Arc à cheval, que Melle Edgarde avait peinte elle-même, et que, avec Gaston, nous fixâmes, non peine ni danger, au sommet de la maison, au-dessus de la porte d’entrée, dont la corniche était ornée de vases de géranium. De chaque côté, des drapeaux, des oriflammes, et aux fenêtres, des transparents, accessoires pour l’illumination du soir.

C’est le jour où l’abbé Archelet nous donna, à l’église de Mazan, un panégyrique si long, que j’écoutais de la tribune, et qui fut suivi d’une procession très solennelle à travers les rues du pays.

Le soir une dernière cérémonie nous réunissait à l’église dont la façade était brillamment illuminée.

Notes et références

  1. Edgar de Raffélis-Soissan
  2. Joseph d’Arbaud était le petit fils d’Eugénie de Raphélis-Soissan
  3. Déjeuner dans le langage de l’époque, le repas du soir étant le souper

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